vendredi 18 novembre 2022

Interview chez Journal du Japon par Paul Ozouf pour D'ambre et de feu

 Je vous mets ici l'intervew que vous pouvez lire ici aussi (Journal du Japon)

En 2019, nous vous parlions de Entre neige et loup, une BD inspirée du folklore japonais. (...). Cette année, les autrices reviennt avec D’Ambre et de Feu, une histoire de vengeance, de kitsune, et qui s’intéresse au lien entre l’homme et la nature. (...)

En plus des quelques clins d’œil au folklore du Japon avec les kitsune, la divinité Amateratsu, etc., ce tome unique a beaucoup à dire. Il contient plusieurs couches, plusieurs niveaux de lecture :

- Pour les enfants, au premier plan, le récit de la vengeance de Kitsune, sa rencontre avec Koyo et ses doutes… 

- Pour les adultes il y a le passé douloureux du roi et les raisons de sa colère, la naissance de cette part d’ombre dans laquelle il s’est noyé. 

- Pour tous, le rapport à la nature, le pardon, et d’autres thématiques assez intéressantes, même si qu’effleurées. On en aurait voulu encore et un second tome, en vérité !

(...)

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Agnès Domergue & Hélène Canac : interview au fil des saisons

Journal du Japon : Bonjour à vous deux, content de vous retrouver, et merci une nouvelle fois pour votre temps. Nous nous sommes rencontrés dans une première interview au sujet d’Entre neige et loups, votre première collaboration. C’était fin 2019.  Ma première question porte justement sur cet ouvrage, pour faire le lien avec la première interview : quel accueil a-t-il reçu, que ce soit sur le plan critique ou commercial ?

Agnès Domergue : Bonjour Paul ! Je crois que Entre neige et loup a été plutôt bien accueilli. Avec de beaux retours de la part des enfants (et même d’adultes parfois !). Puis, nous avons reçu le Prix des écoles d’Angoulême l’année suivante, et le Prix bulles d’Ocean, vote des enfants de 10/11 ans, également.

Hélène Canac : Bonjour, Entre Neige et loup a eu un très bon accueil, oui ! L’album a également été sélectionné aux Eisner Award dans la catégorie meilleur album international. Les critiques étaient très positives, les lecteurs ont compris ce qu’on avait voulu faire avec cet album, OUF !

 Entre neige et loup

Je suppose que vous avez rencontré vos lecteurs justement, en salon, en dédicace : est-ce que vous vous souvenez d’une remarque touchante, amusante ou marquante ?

Agnès Domergue : En tant que professeur d’alto au conservatoire, j’ai la chance de voir l’accueil en direct par mes élèves. De 8 ans à 15 ans, ils ont adoré ! Certains de mes collègues également. Et ça, c’est un super moment que je partage avec eux ! 

Hélène Canac : En festival, les lecteurs sont toujours extrêmement enthousiastes et j’adore les rencontrer. Les enfants sont souvent un peu timides et n’osent pas trop parler, mais certains, une fois lancé, ne s’arrêtent plus! Je me souviens d’une petite fille qui, en attendant sa dédicace, feuilletait l’album tout en me résumant ce qu’il se passait sur chaque page et m’a ordonné, à la fin, de lire le livre parce qu’il était génial !

C’est très choupi, ça ! Basculons doucement vers D’Ambre et de Feu…Quand et pourquoi est-ce que vous vous êtes dit : “allez, on en fait un autre ?

Agnès Domergue : Une question difficile ! Alors je vais répondre de mon côté, mais il y plusieurs réponses je pense…

Tout d’abord, l’idée de faire une BD ensemble était pour moi un truc un peu fou ! Comme lorsqu’on dit : « quand je serai grande, je veux être… » Hélène avait de l’expérience dans ce domaine et j’admirais son travail. Puis, j’avais très envie de me challenger pour que l’on fasse quelque chose ensemble ! C’était comme réfléchir et organiser un grand voyage, on se met à rêver et à se projeter…  Quand Entre Neige et loup a été esquissé, l’idée de faire un cycle de saisons semblait de plus en plus évident. Notre éditeur, lui, souhaitait dès le départ une série. Demande à laquelle j’avais catégoriquement et gentiment refusé. Pour différentes raisons : « est ce que l’on ne se lassera pas, est-ce que c’est pertinent ? Est-ce que je serai capable de créer des histoires à la chaîne ? » Et la question la plus importante : " Comment va naître mon histoire ? »

Je ne sais jamais à l’avance ! Et le scénario d’Entre Neige et loup s’est vite vu être un one-shot. Avec, à l'époque, pourquoi pas une idée de cycle, ou de trilogie. (Oui, j‘aime bien les trilogies !) 

Hélène Canac : Oui, pourquoi pas? 

 D'ambre et de feu 6

Le premier parlait de neige et de loup : comment est-on arrivé ici à l’automne, d’une part, et d’autre part, les Kitsune ?

Agnès Domergue : Dès le départ de cette aventure dans la BD, j’avais dans un coin de ma tête l’envie d'utiliser le personnage du Kitsune. Mais Entre neige et loup est d’abord arrivé. Juste avant sa parution, je partais en voyage dans le Yukon, faire une tournée musicale dans le pays de Jack London. Lors des derniers jours à Whitehorse, j’ai eu la chance de vivre la plus belle des rencontres animales avec un renard, comme sorti d’un dessin animé ! Voilà… les signes étaient là. 

 

Après, il y a eu pas mal de doutes et de remises en question, savoir si j’arriverai à écrire un 2e scénario (j’écris d’habitude de courts textes d’album)… Bref, je me suis tout de même décidé à un moment, et Hélène a répondu présente. Je l’en remercie encore.

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Ensuite il y a les deux personnages phares : Kitsune et Koyo, le dernier des Kitsune et le fils du Roi  : comment sont-ils nés, quelles ont été les sources d’inspiration pour chacune d’entre-vous ?

Agnès Domergue : Kitsune est une vraie métaphore du lien animal/humain. Elle est également farouche, sauvage. Je crois m’être inspirée d’un mélange de Princesse Mononoke et de Zora la rousse (et oui, seuls ceux de ma génération sauront de qui je parle !).

Le roi est la métaphore de l’humanité dans ce qu’il y a de plus vil, et Koyo, celle de l’humanité dans sa version la plus lumineuse, candide et pure. Koyo est d'ailleurs un hommage direct du petit prince de Saint-Exupéry. Ce petit bonhomme au cœur pur, est surement apparu dans mon esprit lorsque j’ai rencontré mon renard. 

Et puis, les associations d’idées sont parfois troubles… 

Hélène Canac : Pour Kitsune, le caractère du personnage décrit par Agnès, sauvage, avec un fort tempérament, devant se débrouiller seule, m’a permis de mettre en place les premiers éléments comme les cheveux en bataille, des vêtements un peu lâches, le tout mélangé aux caractéristiques physiques du renard.

Et pour Koyo la référence était le petit prince de Saint-Exupéry et ses couleurs, tout en lui ajoutant un côté un peu plus « royal. »

Quels sont les autres éléments que vous avez empruntés au folklore japonais, et pourquoi ?

Agnès Domergue : Seulement le Kitsune et Amaterasu dans cet album. Mon tout premier livre dans lequel j’étais du côté illustration était Mee petite fille du matin calme (écrit par Marie-France Zerolo). Marie France évoque un univers asiatique (coréen pour être précis, car ce sont mes origines).On me demande souvent si j’ai des origines japonaises, mais je ne sais pas trop et je me vois surtout comme fan de cuisine et esthétique japonaise. Comme j’avais répondu à notre première interview, c’est par l’univers de MIYAZAKI que je suis tombée amoureuse du Japon. :p

Par contre, le Kitsune, grand personnage du folkore japonais, possède de nombreuses légendes. Je me suis dit : « et si c’était un peuple qui a vraiment existé ? et s'il ne restait que la dernière des Kitsune ? »

Hélène Canac : Les couleurs des feuilles de l’érable du japon qui collaient parfaitement au thème automnal ont été le pivot de création de l’univers. Je précise « les couleurs », car leur forme, dessinée, est très proche de la silhouette des feuilles de chanvre et ce n’était pas vraiment approprié pour l’histoire, je m’en suis donc un peu éloignée

 

Tiens d’ailleurs qu’est-ce qui vous intéresse, vous passionne dans ce folklore par rapport à d’autres ? Sur l’automne par exemple vous auriez pu partir sur la culture celtique, par exemple…

Agnès Domergue : Comme je te disais, tout se fait très inconsciemment… Après avoir écrit un texte, le cerveau se met en jachère je crois… Et tout ce qui nous traverse va donner du terreau… La culture celtique n’a pas dû raisonner à ce moment là ! 

Hélène Canac : Les yokai sont fascinants, il y en a des franchement pas cools, mais certains sont très marrants ou inattendus. Il y a un yokai à l’origine de la plupart des phénomènes : si on ressent des frissons, c’est un yokai, si une bougie s’éteint sans raison apparente, c’est aussi un yokai ! Ils sont partout et ils ont des formes improbables. Les nôtres sont plutôt mignons. Et c’est un univers que l’on peut facilement se ré-approprier, réinterpréter et s’amuser avec.

 

C’est intéressant de voir la cohérence, la symbiose même, entre l’univers déployé et les couleurs employées : le renard est roux, le cerf à ses bois d’or tout comme le roi à ses dorures,  l’automne a ses couleurs chaudes, Amaterasu déesse du soleil apporte ses couleurs jaunes… Comment s’est construit cet ensemble entre univers, personnages et l’aspect visuel de l’œuvre pour arriver à l’alchimie réussie de l’ensemble ?

Agnès Domergue : Pour Amaterasu, la déesse du soleil, elle est apparue lorsque j’écrivais l’Herbier Philosophe, dessiné par Cécile Hudrisier, dans lequel nous parlions de fleurs : les immortelles. Puis, j’en ai même ramenées chez moi lors d’une cueillette sur l'île d'Oleron !  

 


Alors, Amaterasu, je l’ai tout de suite imaginée avec ces fleurs jaunes pâles. Ces fleurs portent le nom direct de l’immortalité qu’offre l’ambre, bien sûr ! Pour le reste, je laisse Hélène répondre ! 

Hélène Canac : Ce qui est magique en BD c’est que l’on peut faire ce que l’on veut (ou presque), on peut partir d’un simple détail et l’extrapoler. 

Pour en revenir à Amaterasu, j’avais juste comme indication qu’elle était la déesse du soleil, et les immortelles. C’est donc naturellement que ses 2 serpents (que j’avais nommé Jean-Michel et Charles-Emmanuel pour les reconnaitre) me sont apparus comme des gros Boa jaunes. Je n’y ai même pas vraiment réfléchit, ça me paraissait évident.

En lisant le scénario, des images m’apparaissent, c’est beaucoup de ressenti. Tout n’est pas intellectualisé et pensé en détail sur le moment et ça m’arrive souvent de découvrir des liens après coup, comme-ci mon inconscient avait bossé a ma place ! S’il pouvait faire le ménage aussi à ma place ça serait top !

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Dans les thématiques traitées, pour finir, il y a la vengeance, l’opposition entre l’homme et la nature, la façon dont chacun utilise son pouvoir, l’héritage que l’on donne à nos enfants, aussi… Quel est ou quels sont les messages que vous avez envie de faire passer dans cet ouvrage ?

Agnès Domergue : L’héritage, en effet au sens propre comme au figuré, est un vaste sujet. 

Alors j’avais envie de l’évoquer comme quelque chose de lourd, parfois, pour l’enfant. L’immortalité était également un sujet que je voulais développer. Cette course à l’immortalité, absurde à mon sens. 

Les onibi sont une allégorie de la colère. Ces fameux onibi ou feux follets qui devaient être dans Entre neige et loup, tu te souviens Hélène ? 

Puis, le rapport animal/humain qui est si cher à mon cœur. 

De toute façon, il y a des messages qui passeront pour certains, d’autres qui ne passeront pas, selon la sensibilité de chacun. J’ai déjà eu des retours très, très, différents. Je crois que c’est une histoire assez dense et je peux juste dire, sans spoiler, que rien n’a été laissé au hasard. (enfin, j’espère !!!) 

Hélène Canac : Ahh oui ! Les Onibi auraient pu être présents dans Entre Neige et Loup ! Ce sont des personnages vraiment intéressants, car ils amènent le sujet de la colère et quoi faire d’elle quand elle nous envahit ? Se laisse t-on submerger, essayons-nous de la dompter, de l’ignorer ? Et peut-on l’abandonner facilement? La colère est un sujet passionnant !

Mais libre a chacun d’interpréter le livre en fonction de son vécu, de son ressenti personnel… chacun y trouvera une résonance particulière.

On laisse chacun y découvrir un chemin alors, c’est parfait. Merci pour votre temps !

Merci beaucoup Paul ! 

 

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