Je vous mets ici l'intervew que vous pouvez lire ici aussi (Journal du Japon)
En 2019, nous vous parlions de Entre neige et loup,
une BD inspirée du folklore japonais. (...). Cette année, les autrices reviennt avec D’Ambre et de Feu, une histoire de vengeance, de kitsune, et qui s’intéresse au lien entre l’homme et la nature. (...)
En plus des quelques clins d’œil au
folklore du Japon avec les kitsune, la divinité Amateratsu, etc., ce
tome unique a beaucoup à dire. Il contient plusieurs couches, plusieurs
niveaux de lecture :
- Pour les enfants, au premier plan, le récit de la
vengeance de Kitsune, sa rencontre avec Koyo et ses doutes…
- Pour les
adultes il y a le passé douloureux du roi et les raisons de sa colère,
la naissance de cette part d’ombre dans laquelle il s’est noyé.
- Pour
tous, le rapport à la nature, le pardon, et d’autres thématiques assez
intéressantes, même si qu’effleurées. On en aurait voulu encore et un
second tome, en vérité !
(...)
Agnès Domergue & Hélène Canac : interview au fil des saisons
Journal du Japon : Bonjour à
vous deux, content de vous retrouver, et merci une nouvelle fois pour
votre temps. Nous nous sommes rencontrés dans une première interview au sujet d’Entre neige et loups,
votre première collaboration. C’était fin 2019. Ma première question
porte justement sur cet ouvrage, pour faire le lien avec la première
interview : quel accueil a-t-il reçu, que ce soit sur le plan critique
ou commercial ?
Agnès Domergue : Bonjour Paul ! Je crois que Entre neige et loup
a été plutôt bien accueilli. Avec de beaux retours de la part des
enfants (et même d’adultes parfois !). Puis,
nous avons reçu le Prix des écoles d’Angoulême l’année suivante, et le Prix bulles d’Ocean, vote des enfants de 10/11 ans, également.
Hélène Canac : Bonjour, Entre Neige et loup a eu un très bon accueil, oui ! L’album a également été sélectionné aux Eisner Award
dans la catégorie meilleur album international. Les critiques étaient
très positives, les lecteurs ont compris ce qu’on avait voulu faire avec
cet album, OUF !
Je suppose que vous avez
rencontré vos lecteurs justement, en salon, en dédicace : est-ce que
vous vous souvenez d’une remarque touchante, amusante ou marquante ?
Agnès Domergue : En
tant que professeur d’alto au conservatoire, j’ai la chance de voir
l’accueil en direct par mes élèves. De 8 ans à 15 ans, ils ont adoré !
Certains de mes collègues également. Et ça, c’est un super moment que je partage avec eux !
Hélène Canac : En
festival, les lecteurs sont toujours extrêmement enthousiastes et
j’adore les rencontrer. Les enfants sont souvent un peu timides et
n’osent pas trop parler, mais certains, une fois lancé, ne s’arrêtent
plus! Je me souviens d’une petite fille qui, en attendant sa dédicace,
feuilletait l’album tout en me résumant ce qu’il se passait sur chaque
page et m’a ordonné, à la fin, de lire le livre parce qu’il était génial
!
C’est très choupi, ça ! Basculons doucement vers D’Ambre et de Feu…Quand et pourquoi est-ce que vous vous êtes dit : “allez, on en fait un autre ?”
Agnès Domergue : Une question difficile ! Alors je vais répondre de mon côté, mais il y plusieurs réponses je pense…
Tout d’abord, l’idée de faire une BD ensemble était pour moi un truc un peu fou ! Comme lorsqu’on dit : « quand je serai grande, je veux être…
» Hélène avait de l’expérience dans ce domaine et j’admirais son
travail. Puis, j’avais très envie de me challenger pour que l’on fasse
quelque chose ensemble ! C’était comme réfléchir et organiser un grand
voyage, on se met à rêver et à se projeter… Quand Entre Neige et loup
a été esquissé, l’idée de faire un cycle de saisons semblait de plus en
plus évident. Notre éditeur, lui, souhaitait dès le départ une série.
Demande à laquelle j’avais catégoriquement et gentiment refusé. Pour
différentes raisons : « est ce que l’on ne se lassera pas, est-ce
que c’est pertinent ? Est-ce que je serai capable de créer des histoires
à la chaîne ? » Et la question la plus importante : " Comment va naître mon histoire ? »
Je ne sais jamais à l’avance ! Et le scénario d’Entre Neige et loup s’est vite vu être un one-shot. Avec, à l'époque, pourquoi pas une idée de cycle, ou de trilogie. (Oui, j‘aime bien les trilogies !)
Hélène Canac : Oui, pourquoi pas?
Le premier parlait de neige et de loup : comment est-on arrivé ici à l’automne, d’une part, et d’autre part, les Kitsune ?
Agnès Domergue : Dès le départ de cette aventure dans la BD, j’avais dans un coin de ma tête l’envie d'utiliser le personnage du Kitsune. Mais Entre neige et loup est
d’abord arrivé. Juste avant sa parution, je partais en voyage dans le
Yukon, faire une tournée musicale dans le pays de Jack London. Lors des
derniers jours à Whitehorse, j’ai eu la chance de vivre la plus belle des rencontres
animales avec un renard, comme sorti d’un dessin animé ! Voilà… les
signes étaient là.
Après, il y a eu pas mal de doutes et de remises en
question, savoir si j’arriverai à écrire un 2e
scénario (j’écris d’habitude de courts textes d’album)… Bref, je me
suis tout de même décidé à un moment, et Hélène a répondu présente. Je
l’en remercie encore.
Ensuite il y a les deux
personnages phares : Kitsune et Koyo, le dernier des Kitsune et le fils
du Roi : comment sont-ils nés, quelles ont été les sources
d’inspiration pour chacune d’entre-vous ?
Agnès Domergue : Kitsune
est une vraie métaphore du lien animal/humain. Elle est également
farouche, sauvage. Je crois m’être inspirée d’un mélange de Princesse Mononoke et de Zora la rousse (et oui, seuls ceux de ma génération sauront de qui je parle !).
Le roi
est la métaphore de l’humanité dans ce qu’il y a de plus vil, et Koyo,
celle de l’humanité dans sa version la plus lumineuse, candide et pure. Koyo est d'ailleurs un hommage
direct du petit prince de Saint-Exupéry. Ce petit bonhomme au cœur pur, est surement apparu dans mon esprit lorsque j’ai rencontré mon renard.
Et puis, les associations d’idées sont parfois troubles…
Hélène Canac : Pour
Kitsune, le caractère du personnage décrit par Agnès, sauvage, avec un
fort tempérament, devant se débrouiller seule, m’a permis de mettre en
place les premiers éléments comme les cheveux en bataille, des vêtements
un peu lâches, le tout mélangé aux caractéristiques physiques du
renard.
Et pour Koyo la référence était le
petit prince de Saint-Exupéry et ses couleurs, tout en lui ajoutant un
côté un peu plus « royal. »
Quels sont les autres éléments que vous avez empruntés au folklore japonais, et pourquoi ?
Agnès Domergue : Seulement le Kitsune et Amaterasu dans cet album. Mon tout premier livre dans lequel j’étais du côté illustration était Mee petite fille du matin calme (écrit par Marie-France Zerolo).
Marie France évoque un univers asiatique (coréen pour être précis, car
ce sont mes origines).On me demande souvent si j’ai des origines
japonaises, mais je ne sais pas trop et je me vois surtout comme fan de
cuisine et esthétique japonaise. Comme j’avais répondu à notre première
interview, c’est par l’univers de MIYAZAKI que je suis tombée amoureuse du Japon. :p
Par contre, le Kitsune, grand personnage du folkore japonais, possède de nombreuses légendes. Je me suis dit : « et si c’était un peuple qui a vraiment existé ? et s'il ne restait que la dernière des Kitsune ? »
Hélène Canac : Les couleurs
des feuilles de l’érable du japon qui collaient parfaitement au thème
automnal ont été le pivot de création de l’univers. Je précise « les
couleurs », car leur forme, dessinée, est très proche de la silhouette
des feuilles de chanvre et ce n’était pas vraiment approprié pour
l’histoire, je m’en suis donc un peu éloignée
Tiens d’ailleurs qu’est-ce qui vous intéresse, vous passionne
dans ce folklore par rapport à d’autres ? Sur l’automne par exemple
vous auriez pu partir sur la culture celtique, par exemple…
Agnès Domergue : Comme
je te disais, tout se fait très inconsciemment… Après avoir écrit un
texte, le cerveau se met en jachère je crois… Et tout ce qui nous
traverse va donner du terreau… La culture celtique n’a pas dû raisonner à
ce moment là !
Hélène Canac : Les
yokai sont fascinants, il y en a des franchement pas cools, mais
certains sont très marrants ou inattendus. Il y a un yokai à l’origine
de la plupart des phénomènes : si on ressent des frissons, c’est un
yokai, si une bougie s’éteint sans raison apparente, c’est aussi un
yokai ! Ils sont partout et ils ont des formes improbables. Les nôtres
sont plutôt mignons. Et c’est un univers que l’on peut facilement se
ré-approprier, réinterpréter et s’amuser avec.
C’est intéressant de voir la
cohérence, la symbiose même, entre l’univers déployé et les couleurs
employées : le renard est roux, le cerf à ses bois d’or tout comme le
roi à ses dorures, l’automne a ses couleurs chaudes, Amaterasu déesse
du soleil apporte ses couleurs jaunes… Comment s’est construit cet
ensemble entre univers, personnages et l’aspect visuel de l’œuvre pour
arriver à l’alchimie réussie de l’ensemble ?
Agnès Domergue : Pour Amaterasu, la déesse du soleil, elle est apparue lorsque j’écrivais l’Herbier Philosophe, dessiné par Cécile Hudrisier,
dans lequel nous parlions de fleurs : les immortelles. Puis, j’en ai
même ramenées chez moi lors d’une cueillette sur l'île d'Oleron !
Alors,
Amaterasu, je l’ai tout de suite imaginée avec ces fleurs jaunes pâles. Ces fleurs portent le nom direct de l’immortalité qu’offre l’ambre, bien sûr !
Pour le reste, je laisse Hélène répondre !
Hélène Canac : Ce
qui est magique en BD c’est que l’on peut faire ce que l’on veut (ou
presque), on peut partir d’un simple détail et l’extrapoler.
Pour en
revenir à Amaterasu, j’avais juste comme indication qu’elle était la
déesse du soleil, et les immortelles. C’est donc naturellement que ses 2
serpents (que j’avais nommé Jean-Michel et Charles-Emmanuel pour les
reconnaitre) me sont apparus comme des gros Boa jaunes. Je n’y ai même
pas vraiment réfléchit, ça me paraissait évident.
En
lisant le scénario, des images m’apparaissent, c’est beaucoup de
ressenti. Tout n’est pas intellectualisé et pensé en détail sur le
moment et ça m’arrive souvent de découvrir des liens après coup,
comme-ci mon inconscient avait bossé a ma place ! S’il pouvait faire le
ménage aussi à ma place ça serait top !
Dans les thématiques traitées,
pour finir, il y a la vengeance, l’opposition entre l’homme et la
nature, la façon dont chacun utilise son pouvoir, l’héritage que l’on
donne à nos enfants, aussi… Quel est ou quels sont les messages que vous
avez envie de faire passer dans cet ouvrage ?
Agnès Domergue : L’héritage, en effet au sens propre comme au figuré, est un vaste sujet.
Alors j’avais envie de l’évoquer comme quelque chose de lourd, parfois, pour l’enfant. L’immortalité était également un sujet que je voulais développer. Cette course à l’immortalité, absurde à mon sens.
Les onibi sont une allégorie de la colère. Ces fameux onibi ou feux follets qui devaient être dans Entre neige et loup, tu te souviens Hélène ?
Puis, le rapport animal/humain qui est si cher à mon cœur.
De toute
façon, il y a des messages qui passeront pour certains, d’autres qui ne
passeront pas, selon la sensibilité de chacun. J’ai déjà eu des retours
très, très, différents. Je crois que c’est une histoire assez dense et
je peux juste dire, sans spoiler, que rien n’a été laissé au hasard.
(enfin, j’espère !!!)
Hélène Canac : Ahh oui ! Les Onibi auraient pu être présents dans Entre Neige et Loup
! Ce sont des personnages vraiment intéressants, car ils amènent le
sujet de la colère et quoi faire d’elle quand elle nous envahit ? Se
laisse t-on submerger, essayons-nous de la dompter, de l’ignorer ? Et
peut-on l’abandonner facilement? La colère est un sujet passionnant !
Mais libre a chacun d’interpréter le
livre en fonction de son vécu, de son ressenti personnel… chacun y
trouvera une résonance particulière.
On laisse chacun y découvrir un chemin alors, c’est parfait. Merci pour votre temps !
Merci beaucoup Paul !